Gillian, c'est comme une dragée surprise de Bertie Crochue, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. D'un jour à l'autre, parfois d'une heure à l'autre elle est dans une humeur totalement différente, s'en est presque inquiétante. Peut-être est-elle un brin schizophrène ? Tantôt gaie, tantôt boudeuse, parfois songeuse. Au premier abord, elle aime à se napper de mystère, à vous scruter de ses yeux bleus avides. Vous ne saurez jamais rien d'elle avant qu'elle ne sache tout de vous. Cette faculté d'arracher des informations aux autres est proprement effrayante. Lunatique et pragmatique, c'est une rêveuse délurée mais elle ne le montre pas. Elle est insupportable, intenable, pas capable de rester sérieuse deux minutes. Elle maudit la contrainte, rejette l'autorité et revendique sa liberté. Elle se fait l'impression d'être un oiseau en cage, bloquée dans une société dont elle ne veut rien. Elle peut paraître enfantine et innocente mais il n'en est rien. Derrière ce minois charmant se cache une panthère, une féline qui aime jouer avec ses proies, qui séduit aussi facilement qu'elle bat des cils. Elle aime à provoquer doucement pour des réactions plus violentes. Silencieuse, elle joue, malicieusement, se plait à se jouer de chacun, à manipuler. Elle aime être celle qui tire les ficelles. Elle ne recule devant rien pour se divertir. Elle est difficile à satisfaire et difficile à oublier. Elle a toujours besoin d'affection mais elle refuse l'amour. Ce qu'elle veut c'est de la passion sans modération mais sans attaches. Personne ne saurait la mettre en cage. Puis enfin il y aussi chez elle ce côté fou et intrépide proprement effrayant. Elle ferait n'importe quoi sous prétexte de s'amuser, y compris jouer avec sa propre vie. Oui, cette fille est bonne à enfermer autant qu'à baiser.
Son allégence ? Elle va à elle-même. Elle ne veut pas prendre part à cette guerre qu'elle juge inexistante. Il existait une une classe dominante et une classe dominée. Elle avait la chance d'appartenir à la classe dominante mais n'est pas à l'abri de la domination pour autant. Elle ne supporte pas le monde dans lequel elle vit mais elle trouve que la résistance à laquelle son père appartient, incompétente. Alors elle s'attèle à mener une vie aussi correcte que possible, quelque soit le monde qui l'entoure. Survivre avant tout.

Le cri des mouettes. C'est ce dont elle se souvenait lorsqu'elle pensait à son enfance. Le cri des mouettes, le bruissement de la mer, la rudesse des rochers sous ses petits pieds nus, un goût salé sur les lèvres et le soleil qui dore la peau, sa robe qui lui claque sur les cuisses à cause du vent. La Grèce. Terre volcanique, terre d'Histoire, sa terre. C'était là qu'elle était née, là que sa mère était née, là que son père avait trouvé refuge, là qu'il était tombé follement amoureux. L'ironie du sort veut que Sirius Black soit tombé amoureux d'une sang-pure, une sang-pure qui n'a pas hésité une seule seconde à dévoiler sa cachette aux Seigneurs des Ténèbres pour sauvegarder la vie de ses deux petites filles.
Gillian se souvenait de ce jour où ils étaient venus chercher son père. Elles étaient enfermées toutes les trois à la cave et son père était resté dans le salon, pour faire rempart, pour se battre, pour les protéger. Un peu de James Potter vivait-il en son meilleur ami ? Sans doute. Elle avait entendu la porte voler en éclat puis des éclairs de lumières et des grognements avaient filtré de la porte, un choc sourd puis plus rien. Des bruits de pas précipités, la porte qui s'ouvre et soudain une vive lumière. On les empoigne, on les traine, elle se débat comme elle peut, Penelope pleure et sa mère ne souffle mot. Elle ne dit rien, elle se tait. "Buttin de guerres" murmure l'un. Ou bien était-ce "Putain de guerre ?" On transplane et les voilà qui se retrouvent en Grande-Bretagne, terre inconnue si loin et si différente de leur très chère Grèce. Plus jamais elle ne la reverrait, tout comme elle ne reverrait plus jamais son père. Penelope, sa petite soeur, pleurait beaucoup. Calypso lui tenait les mains forts, très forts, aussi forts que ses petites mains le lui permettaient. Leur mère, elle, ne disait toujours rien, ne faisait toujours rien. On les retenait dans un salon luxueux mais aux teintes froides. Les gens allaient et venaient, personne ne faisait attention à elles. Calypso était terrifiée mais elle ne voulait pas pleurer. Elle avait promis à son père qu'elle ne pleurerait pas. Elle avait promis qu'elle serait courageuse pour sa mère et sa petite soeur, elle avait promis qu'elle serait digne de la confiance de son père. Elle ne pleurerait pas, ça non. Puis elle avait capturé un regard à la dérobée, puis un deuxième, puis un troisième. De petites paires d'yeux l'observaient, à demi cachées derrière un pan de mur. Elles semblaient curieuses et instigatrices. Calypso les avait fusillées du regard. Si elle avait eu une baguette comme les grands, elle leur aurait sûrement jetées un sort mais elle ne le pouvait pas. D'ailleurs déjà trois silhouettes faisaient irruption dans la pièce. Deux hommes d'abord, un blond et un brun, puis une longue silhouette fine qui faisait froid dans le dos, dépourvu de cheveux ou du moindre poil, parfaitement lisse... Gillian avait senti ses cheveux se dresser sur sa nuque et Penelope avait proprement arrêté de pleurer. Leur mère avait enfin relevé la tête, le regard vide.

« Scorpius, Fiona, Azrael ! Vous n'avez rien à faire ici ! »
« Non non, laisse-les Harry. Qu'ils restent. »

La voix du grand homme longiligne glaça le sang de Calypso dans ses veines. Elle sentait qu'elle tremblait imperceptiblement et serrait la main de Penelope plus fort que jamais. Mais c'était dans le regard des jeunes enfants que son regard était fixé. Elle ne les quittait pas des yeux, tout son être transpirait la crainte et la terreur tandis que la voix sifflait à nouveau:

« La petite famille Black... Douloureusement privée de son père. Qu'allons-nous bien pouvoir faire de vous ? »
« Est-ce qu'on peut les garder ? »
« Azrael ! »

Un des petits garçons avait surgi de derrière son pan de mur. Cheveux de jais, yeux bleus d'acier. On sentait qu'il regrettait déjà son intervention, qu'il redoutait la réaction de l'homme mais qu'il n'était pas prêt de faire marche arrière. Il serrait résolument ses petits poings, jetant à Gillian de petits coups d'oeils nerveux de temps en temps.

« Tu veux les garder, Azrael ? Comme... des animaux de compagnie ?»
« Je... c'est que... Elles sont sang-purs, non ? Et des parentes en plus alors... ce serait du gâchis si... »

Sa voix s'était brisée et il s'était tû sans rien ajouter, la fixant avec crainte. Il s'inquiétait pour elle, elle la fille d'un rebelle ? Calypso ne comprenait pas. L'homme brun était pâle comme un linge. Visiblement la colère bouillait sous sa peau, malgré son extrême pâleur. Quant à l'autre, lissant le devant de sa robe de sorciers comme pour se donner contenance, il dit alors:

« Il n'a pas tort, Maître. »

Le grand homme semblait pensif. Il leur tournait autour à pas lent. Leur mère semblait sur le point de défaillir. Soudain l'homme s'est immobilisé devant elles et a tendu la main. Alors Gillian a sû ce qu'elle devait faire. Elle a aidé Penelope à se hisser sur ses pieds et a pris la main aux doigts fins de l'homme. Il s'est alors tourné vers Azrael à qui il a tendu la main. Celui-ci s'est approché sans trop savoir quoi faire. Alors le grand homme a pris sa main et a placé celle de Calypso dedans.

« Voilà, elles sont à toi. Prends-en soin surtout. Et n'oublie pas, si elles font une bêtise, c'est toi que je punirai. »

Puis il fit volte race, enveloppa Mrs Black de sa cape et disparut. Ce fut la dernière fois que Calypso vit sa mère.